Par Jean-Pascal Rolandez (08/2019)
Chevillard est un beau témoignage de notre histoire locale. Jusqu'au bas de l'an 1000, il n'y a rien à raconter. Dans une contrée froide, humide, et éloignée de l'ancienne route romaine reliant Artemare à Izernore par le col de Belleroche, son territoire est recouvert d'une dense forêt typique du Haut Bugey, dominée principalement par sapins blancs et fayards.
Progressivement, de grands domaines de familles seigneuriales locales se forment, ainsi que la « Terre de Nantua » sous l'égide des moines bénédictins. Petit plateau de montagne, isolé mais relativement plat et surtout bien orienté, le défrichement du territoire de la commune commence alors. Apparaissent quelques prés autour d'une grange fourragère possédée par le seigneur de Châtillon (en Michaille), en un lieu nommé Chevillard et ce, en raison de la quantité de chevreuils alentour.
Intervient alors l'évènement qui transformera cette grange en hameau, puis en village, et marquera l'histoire de Chevillard pour des siècles et des siècles: la fondation de la Chartreuse de
Meyriat en 1116 par Ponce du Balmay et Étienne de Bourg, l'un des compagnons de Saint-Bruno.
La famille du Balmay dota la chartreuse de la vallée perdue et encaissée de Meyriat, dont le principal actif était ses sapins, son cours d'eau le Valey, ainsi que des forêts adjacentes aux
limites vagues et contestées par les villageois de Brénod. Cependant, il lui manquait des prés permettant une exploitation agricole nécessaire à sa survie, puisque, suivant la règle de saint
Bruno, les pères chartreux priaient tout le long de la journée.
La plupart étaient issus de familles aisées. Ils rejoignaient les ordres religieux instruits et bien dotés, ce qui permit à la chartreuse d'acquérir la grange de Chevillard et sa terre au
seigneur de Châtillon en 1279.
Les pères chartreux recrutèrent alors des laïcs, frères convers et serfs afin de défricher le territoire nouvellement acquis. Avec les moyens de l'époque, il fallut environ 150 ans pour mener à bien cette vaste tâche, menée en étoile à partir de la grange initiale. Celle-ci devint un hameau de cabanes resserrées les unes contre les autres, puis un petit village très compact, travaillant presque exclusivement pour la chartreuse.
Aussi, en l336, le sire de Thoire dont dépendait le territoire trouva plus commode de déléguer à la chartreuse 1'administration et la justice de Chevillard. Les chartreux veillèrent alors au bien
de leurs hommes liges.
De cette époque est ainsi né le terme de "savorêt", surnom des habitants de Chevillard, car les chartreux leur fournissaient des os à moelle pour enrichir leur soupe ainsi devenue
savoureuse. L'imposition était légère, simple redevance au duc de Savoie, perçue par les Chartreux dans la Ferme des Dîmes, et la vie fut paisible des siècles durant: "on ne mord pas la main
qui vous nourrit ".
Chevillard fut probablement doré initialement d'une chapelle. Sous la pression d'une prospère expansion, au XVe siècle, fut alors entreprise la construction de sa jolie église en contrebas, faute
de place dans le cœur de ce petit village. Elle fut agrandie en 1677, prenant sa forme actuelle.
Alors que la population croissait, la chartreuse, elle, déclinait, malgré sa belle reconstruction au XVIIe. Idéal monastique, celui très austère de Saint-Bruno en particulier, séduisait de moins en moins. De plus, la Renaissance avait affranchi serfs et homme liges: Chevillard s'émancipa ainsi petit à petit de la chartreuse. À partir de 1668 en effet, probablement entraînés par des gens de Brénod qui s'épuisaient sur le sujet depuis des siècles, certains de ses habitants lui intentèrent même des procès territoriaux (également en vain. . .).
Chevillard fut complètement libéré de la chartreuse à la Révolution, lors de sa destruction par des gens de Brénod, que suivit son démembrement. Chevillard devint alors au XIXe siècle un petit village français comme tant d'autres, avec sa fruitière coopérative, quatre jolies fontaines l'alimentant en eau courante et une belle mairie-école. Ce fut son apogée, avec près de 300 habitants et toujours un peu à l'écart.
Le désastre de la Grande Guerre, puis l'exode rural affaiblirent le village de ses forces vives. Le déclin se poursuivit avec la Seconde Guerre mondiale. Ainsi, la population déclina jusqu'en 1975, Chevillard comptant alors 116 habitants...
Depuis, grâce aux technologies et aux nouveaux conforts de vie, ses habitations reprennent vie, y compris à l'écart du village sous forme de coquets pavillons de résidents travaillant de Maillat à Oyonnax. Ses maisons de village deviennent aussi de paisibles lieux de retraites. Le réchauffement de la terre en ces froids territoires y rend en effet la vie moins difficile que du temps des chartreux (!).
Après un commentaire détaillé sur l'église, par cette belle matinée d'été, la balade à travers les rues du village fut conduite par Jean-Pierre Baillet, architecte spécialiste de nos contrées. Il expliqua ainsi aux cinquante participants fort intéressés les nombreux traits d'architecture locale, ainsi que chaque édifice significatif ou typique, comme le chalet-fruitière ou le joli petit presbytère. Jean-Pierre Baillet émailla par ailleurs son discours d'utiles et nombreux conseils en matière de préservation et de respect de L'architecture locale, ce dont il fut chaleureusement remercié