La pouponnière de Champdor

 

En 1946, malgré l’apparition des antibiotiques, la tuberculose sévit toujours. Sur Hauteville-Lompnes les malades féminines sont nombreuses, les grossesses et naissances aussi. Les nourrices sont saturées et les placements doivent parfois être effectués jusqu’en Dombes. Peu de femmes des villages environnant Hauteville acceptent de se charger des enfants et encore moins des nourrissons. Elles craignent d'introduire des malades contagieux dans leur famille.

 

Le Docteur Rossignol, médecin directeur d’Angeville qui s'occupe des affaires sociales, à la mairie d’Hauteville, essaye de trouver une solution. Parallèlement Édith Bobillon cherche à reprendre son métier d’infirmière, qu’elle a abandonné depuis son mariage.

 

Mademoiselle Maclet, adjointe auprès du Dr Le Tacon, maire d’Hauteville et vieille amie de la famille Bobillon, les mets en contact. De leur discussion va naitre la 1ère pouponnière du département de l’Ain, une solution alliant la proximité à l'isolement.

 

Des début difficiles

 

La pouponnière de 20 lits est installée dans la maison familiale : La place est disponible dans la grande maison pour deux dortoirs de dix et sept lits, plus trois box d'isolement et Édith pourra gérer elle-même la structure.

 

La pouponnière "pour enfants débiles" selon les termes de l'Administration reçoit l’autorisation d’ouverture à la fin de l’année 1947. L’établissement ouvre au printemps 1948.

 

Bien que la guerre soit terminée depuis deux ans, rien n'est encore normal dans l'approvisionnement et pour débuter, Édith peut compter sur :

  • Trois petits lits à hamac, quelques lits en X pliants et trois grands lits à barreaux.
  • Son père, bon bricoleur, lui fera une douzaine de lits en chêne copiés sur les petits lits achetés précédemment.
  • Pour les hamacs, impossible de trouver du tissu convenable : son mari déniche des sacs d'aliments du bétail qui passés à la javel pure feront merveille. C'est une toile de coton à toute épreuve.
  • Le stock de draps de fil trouvé dans les armoires de la maison fournira d'excellents draps de berceaux pendant des années.
  • La balle d'avoine des paillasses et le crin des oreillers seront faciles à trouver.

Les bébés arrivent lentement le premier été 48. Ce sont des enfants du deuxième âge pris en charge par la sécurité sociale ou l’A.M.G. (Aide Médicale Gratuite) pour des raisons médico-sociales variées: six enfants le 20 septembre 1948.

 

Une pouponnière d'application du BCG

La pouponnière ne résout pas le problème des nouveaux nés des malades hospitalisées d'Hauteville. La visite en septembre 48 du professeur Armand Delille, célèbre pneumologue des hôpitaux de Paris est providentielle. Il cherche une deuxième pouponnière d'application du BCG, la première étant à Cambo-les-Bains dans les  Pyrénées Atlantiques.

 

Le BCG par voie buccal, donné jusque-là les premiers jours après la naissance, ne semblait pas efficace. Par contre par scarification, on obtenait un virage de cuti, mais on hésitait à vacciner trop tôt les enfants.

Par le BCG, les bébés rendus à leurs parents étaient protégés contre les trop fameuses méningites tuberculeuses et les sévères primo-infections pendant 3 ans environ ou plus.

 

Comme la Sécurité Sociale n'a pas vocation à payer la prévention, la prise en charge est assurée par la Direction Départementale de la Santé au titre de la vaccination au BCG.

 

Les règles étaient très précises :

  • faire le BCG par scarification avec un vaccin fourni directement par l’Institut Pasteur,
  • à des bébés strictement isolés dès la naissance,
  • d’un poids suffisant (4 kg) et en bon état général.
  • Les enfants resteront isolés de la contagion donc pas de visites rapprochées jusqu'au virage de cuti un mois plus tard.
  • Ils seront éventuellement gardés jusqu'au départ de la mère du sanatorium où elle se remet de son accouchement.

 

Le personnel et la vie dans l'établissement

 

La vie dans l’établissement se fait dans une ambiance familiale : Édith Bobillon est tenue de résider dans l’établissement ; elle le fait avec son mari et ses enfants.

Le personnel, pour la plupart mineur, est hébergé sur place, au 1er étage aménagé avec des chambres qu’elle veut autant que possible individuelles; une seule comportera deux lits.

 

Afin que rien n'échappe à leur vigilance, tout est fait en commun, les plus anciennes nurses surveillant et guidant les nouvelles arrivées, l'une compensant les oublis éventuels de l'autre. Les tétées, données dans les bras, comme "à la maison", des moments gais, où l'on chante et cause pour faire oublier aux bébés les uniformes et les masques. Sauf en cas de rhume ce masque est baissé pour faire sourire les bébés. Autant que possible, ce sont les mêmes nurses à chaque tétée.

 

Ce travail de groupe n'est pas toujours facilement compatible avec les directives draconiennes de l'époque, mais bien dans l'esprit de deux de ses professeurs : le professeur Ribadeau-Dumas et le professeur Cathala. Pour eux les bébés n'étaient pas que des "cas" comme pour d’autres médecins.

 

Édith Bobillon embauche des jeunes filles issues du milieu rural, ayant complété leurs études primaires par une année en école ménagère ou en maison familiale rurale ; elles ont des notions d’hygiène, de travaux ménagers (couture, repassage) bien utiles. Elle les forme au métier de nurses et dans la philosophie de l’établissement. Souvent elles demeurent au sein de l’établissement de la sortie de l'école à leur mariage avec des garçons du village.

 

Par contre, l’organisation surprend les quelques aides-puéricultrices diplômées.  « Elles viennent ici, en sortant de l'école et attendent une place en maternité ou en hôpital.... et surtout en ville ».

 

 

La reconversion progressive des sanas vers 1960 puis l'arrivée de la contraception en 1966, oblige la pouponnière à s’ouvrir à d'autres recrutements.

 

Administrativement, les choses deviennent difficiles : contestation par la sécurité sociale qui assure le gros des prises en charge, du prix de journée établi par la DDAS (Direction départementale de l'Action Sanitaire) ; prise en charge de plus en plus courte donc plus de travail pour moins de résultat.

 

En 1971, le syndicat des établissements (pouponnières) conseille de passer à des unités plus grandes de 70 lits afin de pouvoir s'équiper de radiographie par exemple, alors qu'en hiver la pouponnière a bien du mal à remplir ses lits, ou bien de se spécialiser, ce qui ne vaut que pour des établissements situés près des grands hôpitaux.

 

En 1972, Édith Bobillon choisit de mettre un terme à une expérience qui aura duré 25 ans. Durant ces années la pouponnière aura accueilli 1338 bébés.

 

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